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nécessité où elle s’est vue contrainte ? Te saluera-t-elle comme son oncle ? t’embrassera-t-elle comme son époux ? » Dion, vivement touché du discours d’Aristomaque, et les yeux baignés de larmes, embrasse tendrement sa femme, remet son fils entre ses mains, et l’envoie dans la maison où il faisait sa résidence, parce qu’il avait rendu la citadelle aux Syracusains.

Après un tel succès, il ne voulut point jouir de sa fortune présente qu’auparavant il n’eût témoigné sa reconnaissance à ses amis, fait des présents aux alliés, et distribué surtout aux citoyens qui lui étaient connus et aux soldats étrangers une partie des récompenses et des honneurs qu’ils méritaient. Sa générosité envers les autres surpassait son pouvoir : cependant il se traitait lui-même simplement et modestement, et se contentait des choses les plus communes. Aussi était-il l’objet de l’admiration générale, quand on considérait que, fixant sur lui, par ses prospérités, les regards non-seulement de la Sicile et de Carthage, mais de la Grèce entière, qui le reconnaissaient pour le capitaine du temps dont la valeur et la fortune avaient eu le plus d’éclat, il était néanmoins aussi simple dans ses vêtements, ses équipages et sa table, que s’il eut vécu dans l’Académie avec Platon, et non point avec des officiers et des soldats, pour qui les débauches sont les adoucissements ordinaires des fatigues qu’ils endurent et des dangers qu’ils courent. Platon lui-même lui écrivait[1] que la terre entière avait les yeux fixés sur lui ; mais ceux de Dion n’étaient attachés, pour ainsi dire, que sur un seul endroit d’une seule ville, l’Académie : il ne reconnaissait d’autres spectateurs de sa conduite que les philosophes qui la fréquentaient, eux qui n’admiraient ni ses exploits, ni son courage, ni ses victoires, mais qui examinaient s’il userait avec sagesse et modé-

  1. Dans la quatrième lettre.