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courage. Cette expédition leur parut l’effet de la démence et de la fureur ; et ils regardèrent Dion comme un homme emporté par le ressentiment, et qui, faute de meilleures espérances, se jetait tête baissée dans une entreprise désespérée. Ils s’emportèrent contre leurs capitaines et contre ceux qui les avaient enrôlés, de ce qu’ils ne leur avaient pas déclaré d’abord quelle était la guerre où ils les voulaient mener. Mais, après que Dion, dans son discours, leur eut exposé tout ce que la tyrannie avait de faible, et leur eut fait entendre que c’était moins comme soldats qu’il les conduisait à cette expédition, que comme des capitaines destinés à commander les Syracusains et les autres peuples de la Sicile, disposés à la révolte depuis longtemps ; lorsqu’ensuite Alciménès, le premier des Grecs en naissance et en réputation, leur eut parlé, ils ne refusèrent plus de partir.

On était alors au milieu de l’été : les vents étésiens[1] régnaient sur la mer, et la lune était dans son plein. Dion fit préparer un magnifique sacrifice destiné à Apollon ; et, à la tête de ses soldats armés de pied en cap, il se rendit en pompe au temple du dieu. Après le sacrifice, il leur donna un grand festin dans le lieu de l’île où l’on faisait les exercices. La quantité de vaisselle d’or et d’argent, la magnificence des tables et autres meubles, qui paraissaient au-dessus de la fortune d’un particulier, surprit étrangement les soldats ; et ils pensèrent alors qu’il n’était pas vraisemblable qu’un homme d’un âge mûr, et qui possédait de si grandes richesses, se fût jeté dans une entreprise si hasardeuse, s’il n’avait des espérances bien fondées, et s’il n’était assuré que ses amis de Sicile lui fourniraient tous les moyens nécessaires pour réussir.

  1. Vents du nord et du nord-ouest qui soufflaient périodiquement pendant la canicule.