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beaucoup, et donne beaucoup à Platon qui n’accepte jamais rien. » Après les premières caresses de la bienvenue, Platon voulut parler de Dion ; mais Denys remit d’abord à un autre temps ce sujet de conversation. Ensuite ce ne furent que plaintes et que querelles, qui pourtant n’éclataient point au dehors, parce que Denys avait grand soin de les cacher, prodiguant publiquement à Platon tous les honneurs et toutes les complaisances possibles, afin de le détacher de l’amitié qu’il avait pour Dion. Dans les commencements, Platon ne lui reprocha point sa perfidie ni ses mensonges : il sut les supporter et les dissimuler. Comme ils étaient dans cette disposition réciproque, qu’ils croyaient ignorée de tout le monde, Hélicon le Cyzicénien,-un des amis de Platon, prédit une éclipse de soleil[1]. Cette éclipse étant arrivée au jour précis marqué par Hélicon, le tyran en fut si ravi, qu’il lui donna un talent d’argent[2]. Aristippe, badinant à cette occasion avec les autres philosophes, dit qu’il avait aussi à prédire quelque chose d’extraordinaire. Et, comme on le pressait de dire ce que c’était : « Je vous annonce, dit-il, qu’avant peu, Denys et Platon seront ennemis. »

Enfin, Denys fit vendre tous les biens de Dion et en retint l’argent ; puis il fit quitter à Platon l’appartement qu’il occupait dans ses jardins, et le renvoya au milieu de ses satellites, qui le haïssaient de longue main, et qui cherchaient à le tuer, parce qu’il conseillait à Denys de renoncer à la tyrannie et de casser la garde de sa personne. Archytas n’eut pas plutôt appris le danger que courait Platon, qu’il envoya des députés sur une

  1. Hélicon était un disciple de Platon : il s’appliqua surtout à l’étude des mathématiques et de l’astronomie, ainsi qu’Eudoxe, Callippus et quelques autres, qu’Aristote caractérise ordinairement du nom de mathématiciens.
  2. Environ six mille francs de notre monnaie.