Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/411

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

res, et le lui portèrent en Grèce. Les femmes du palais et ses amis particuliers y ajoutèrent des présents considérables ; de sorte que Dion, par ses richesses et par sa magnificence, fut fort renommé parmi les Grecs, et qu’on put juger, par l’opulence du banni, quelle devait être la puissance du tyran.

Aussitôt après le départ de Dion, Denys logea Platon dans la citadelle, en apparence pour lui faire honneur en le rapprochant de sa personne, mais en effet pour s’assurer de lui, afin qu’il n’allât pas joindre Dion, et lui servir de témoin de l’injustice que Denys lui avait faite. Le temps et l’habitude lui inspirèrent un goût si vif pour les entretiens du philosophe, que, semblable à une bête féroce qui s’apprivoise enfin avec l’homme, son amour pour lui devint tyrannique : il voulait que Platon n’aimât que lui, ou du moins qu’il l’estimât plus que personne, étant prêt à le rendre maître de ses richesses, et de l’empire même, s’il voulait ne pas préférer l’amitié de Dion à la sienne. Cette passion, ou plutôt cette manie, était pour Platon un véritable malheur, comme l’amour d’un amant jaloux en est un pour la personne qu’il aime. C’étaient des emportements subits, suivis presque aussitôt de repentirs et de vives prières pour obtenir son pardon : il brûlait d’entendre les discours de Platon, et d’être initié aux mystères de la philosophie ; et il en rougissait devant ceux qui cherchaient à l’en détourner comme d’une étude capable de le corrompre.

La guerre qui survint sur ces entrefaites le détermina à renvoyer Platon en Grèce. Avant son départ, il lui fit la promesse de rappeler Dion au printemps suivant ; mais il manqua à sa parole, et se contenta de lui faire passer ses revenus, priant Platon de l’excuser s’il ne tenait point sa promesse, et d’en accuser la guerre seule ; l’assurant, du reste, qu’aussitôt la paix conclue, il ferait revenir Dion, à condition pourtant qu’il se tiendrait en repos,