Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/410

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il passa à la colère, qui aboutit enfin à une rupture ouverte.

Sur ces entrefaites, on apporta secrètement à Denys des lettres que Dion écrivait aux magistrats de Carthage, par lesquelles il leur mandait de ne point traiter de la paix avec le tyran sans qu’il fût présent aux conférences, parce qu’il servirait à rendre le traité plus solide. Denys communiqua ces lettres à Philistus ; puis, ayant délibéré avec lui sur ce qu’il devait faire, il abusa Dion, suivant le rapport de Timée, par une feinte réconciliation, et le trompa par de belles paroles. Un jour, il le mena seul sur le bord de la mer, au-dessous de la citadelle ; et là, lui ayant montré ses lettres, il l’accusa de s’être ligué contre lui avec les Carthaginois. Dion voulut se justifier ; mais le tyran, sans vouloir l’entendre, le fit monter à l’instant même, tel qu’il était, sur un brigantin, et commanda aux matelots de le déposer sur les côtes d’Italie. Cette violence ne fut pas plutôt connue, que tout le monde fut révolté de la cruauté de Denys : les femmes firent retentir le palais de leur douleur ; mais la ville reprit courage, dans l’espoir que le tumulte qu’excitait l’exil de Dion, et la défiance que cet acte jetait dans les esprits, amèneraient bientôt quelques changements favorables dans les affaires. Denys, voyant les esprits dans cette disposition, et en redoutant les suites, consola ses amis et les femmes du palais, les assurant que l’absence de Dion n’était point un exil, mais un simple voyage qu’il l’avait obligé de faire, de peur qu’en demeurant, son opiniâtreté ne l’eût forcé à prendre contre lui des mesures plus violentes. En même temps il donna aux parents de Dion deux vaisseaux, afin qu’ils y chargeassent ce qu’ils voudraient des richesses et des serviteurs de Dion, et qu’ils l’allassent joindre dans le Péloponnèse. Or, Dion avait des possessions immenses, et le train de sa maison était presque égal à celui d’un tyran : ses amis firent charger le tout sur les deux navi-