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tyrannie, comme le fer s’amollit par le feu ; ce qui la fit paraître plus douce aux sujets de Denys : elle perdit à leurs yeux ce qu’elle avait de dur et de farouche, émoussée, non par la bonté, mais par la paresse de celui qui gouvernait. Cette lâche négligence, en s’augmentant de jour en jour, affaiblit peu à peu la puissance du jeune homme, et finit par délier et par fondre, pour ainsi dire, ces chaînes de diamant dont l’ancien Denys s’était vanté de laisser la tyrannie enlacée. Une fois enfoncé dans ces désordres, le jeune Denys se livra à des débauches qui duraient, dit-on, jusqu’à des trois mois entiers, pendant lesquels son palais, fermé aux gens sages et aux conversations honnêtes, était rempli d’ivrognes, et ne retentissait que du bruit des danses, du son des instruments, et de toutes sortes de chansons et de bouffonneries obscènes.

Rien donc, comme on peut penser, ne devait être tant à charge aux courtisans que la présence de Dion, lui qui ne se permettait aucun des plaisirs et des amusements de son âge. Aussi donnaient-ils à ses vertus le nom des vices qui semblaient y avoir quelque rapport : ils en faisaient l’objet de leurs calomnies, appelant sa gravité arrogance, et sa franchise opiniâtreté. S’il donnait quelque sage conseil, c’était, suivant eux, une censure de la conduite des autres ; et, s’il refusait de prendre part à leurs débauches, c’était mépris. Il est vrai que Dion avait une fierté naturelle et une austérité de mœurs qui le rendaient d’un accès difficile, et presque insociable ; de sorte que son commerce paraissait désagréable et dur, non-seulement à un homme jeune et dont les oreilles étaient corrompues par la flatterie, mais à ceux-là même qui étaient le plus intimement liés avec lui ; car, tout en admirant la noble simplicité de son caractère, ils lui reprochaient d’avoir dans le ton et dans les manières quelque chose de rude et de sauvage, qui ne convenait