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sens sur ce qu’exigeait la conjoncture présente, qu’il fit voir que pour la prudence tous les autres n’étaient auprès de lui que des enfants, et, pour la franchise, des esclaves de la tyrannie, et qui, par lâcheté et par crainte, ne donnaient leur avis qu’en vue de complaire au jeune Denys. Mais, ce qui étonna bien davantage encore les courtisans, ce fut de voir que, pendant qu’ils redoutaient l’orage qui se formait du côté de Carthage et menaçait la puissance de Denys, Dion osait se faire fort, si Denys désirait la paix, de s’embarquer sur-le-champ pour l’Afrique, et de faire conclure la paix aux conditions les plus avantageuses ; et, s’il préférait la guerre, de lui fournir cinquante trirèmes équipées à ses frais. Denys, plein d’admiration pour cette conduite généreuse, témoigna à Dion combien il était sensible à sa bonne volonté ; mais les courtisans, qui regardaient la magnificence de Dion comme la censure de leur avarice, et le crédit qu’il allait acquérir comme l’affaiblissement du leur, tirèrent de là un prétexte de lui nuire : ils n’épargnèrent rien de ce qui pouvait aigrir contre lui l’esprit du jeune homme, lui faisant entendre qu’avec des forces aussi considérables, Dion envahirait facilement la tyrannie, et transporterait la puissance souveraine aux fils d’Aristomaque, qui étaient ses neveux. Mais les causes les plus fortes et les plus apparentes de la haine et de l’envie qu’ils lui portaient, c’était la différence de leur genre de vie, et le peu de commerce qu’il avait avec eux.

Ces hommes s’étaient emparés de bonne heure de l’esprit du jeune tyran, qui avait été fort mal élevé : toujours assidus auprès de sa personne, ils lui prodiguaient les flatteries, l’enivraient de plaisirs, et lui ménageaient chaque jour de nouvelles voluptés. En le plongeant de la sorte dans la débauche de la table et dans l’amour des femmes, ils le livrèrent tout entier à la dissolution la plus honteuse. Cette vie voluptueuse finit par amollir la