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telles instances, qu’il finit par lui persuader d’entendre Platon, et d’avoir à loisir des entretiens particuliers avec lui.

Dans leur première entrevue, la conversation eut pour objet la vertu ; et l’on disputa longtemps sur le courage. Platon prouva qu’il n’y avait point d’hommes moins courageux que les tyrans. Puis, traitant de la justice, il démontra que la vie du juste était la seule heureuse, tandis que celle de l’homme injuste était de toutes la plus misérable. Le tyran, qui se sentait convaincu par les raisonnements du philosophe, souffrait impatiemment cet entretien, et voyait avec peine que tous les assistants admiraient Platon, charmés qu’ils étaient par ses discours. Enfin, ne pouvant plus maîtriser sa colère, il demanda à Platon ce qu’il était venu faire en Sicile. « Y chercher un homme de cœur, répondit Platon. — Comment ? répliqua Denys ; à t’entendre on dirait que tu ne l’as pas encore trouvé. » Dion crut que le courroux de Denys s’en tiendrait là ; et, comme Platon montrait le désir de s’en retourner, il le fit embarquer sur une trirème qui ramenait en Grèce Pollis le Spartiate. Mais Denys pria secrètement Pollis de faire périr Platon pendant la traversée, ou tout au moins de le vendre. « Car, lui dit-il, il ne perdra rien à ce changement d’état, parce qu’étant homme juste, il sera aussi heureux esclave que libre. » Pollis mena, dit-on, Platon à Égine, et l’y vendit ; car les Éginètes, alors en guerre avec les Athéniens, avaient fait un décret portant que tout citoyen d’Athènes qui serait pris serait vendu dans Égine.

Cependant Denys ne laissa point pour cela de donner à Dion les mêmes marques d’estime et de confiance : il le chargea de plusieurs ambassades importantes ; et ce fut lui qu’il députa aux Carthaginois. Dion s’acquit dans ces emplois une grande réputation, et il demeura le seul qui osât sans crainte dire au tyran tout ce qu’il