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temple de Neptune à Calaurie[1], passa dans l’île sur de petits bateaux ; et, étant débarqué avec une troupe de soldats thraces, il voulut persuader à Démosthène de sortir du temple, et de venir avec lui trouver Antipater, affirmant qu’il ne lui ferait aucun mal. Mais Démosthène avait eu, la nuit précédente, pendant son sommeil, un songe étrange. Il avait cru se voir luttant contre Archias à qui jouerait le mieux une tragédie : pour l’action, c’était lui-même qui l’emportait ; mais son rival triompha par la richesse des costumes et des décorations. Aussi Archias eut beau faire, dans ses discours, un grand étalage d’humanité ; Démosthène, levant les yeux sur lui, assis comme il était : « Archias, dit-il, jamais je n’ai cru à tes paroles, quand tu jouais ton rôle au théâtre ; tu ne me feras pas davantage croire aujourd’hui à tes promesses. » À cette réponse, Archias s’emporte, et commence à menacer. « Maintenant, reprit Démosthène, tu parles en homme inspiré par le trépied de Macédoine ; tout à l’heure ce n’était que le langage d’un comédien : attends donc un peu que j’aie écrit chez moi pour donner mes derniers ordres. »

En disant ces mots, il se retira dans l’intérieur du temple ; puis, prenant ses tablettes comme pour écrire, il porta le roseau à sa bouche et le mordit, geste qui lui était habituel quand il méditait ou composait quelque discours : après l’y avoir tenu quelque temps, il se couvrit de sa robe, et pencha la tête. Les soldats qui se tenaient à la porte du temple se moquaient de ce qu’ils prenaient pour de la pusillanimité, et le traitaient de lâche et de mou. Archias s’approcha de lui, et l’engagea à se lever ; et, lui répétant les mêmes propos, il lui promit derechef sa rentrée en grâce auprès d’Antipater. Démosthène, qui sentit que le poison avait produit tout son effet, se découvrit, et, fixant ses regards sur Archias : « Tu

  1. Petite île en face de Trézène.