Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/357

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

talents d’argent[1] et des vivres pour nourrir toute l’armée pendant la durée de la guerre.

Antoine, à la persuasion de Domitius et de quelques autres, voulait renvoyer Cléopâtre en Égypte, pour y attendre l’issue de la guerre ; mais Cléopâtre, qui craignait qu’Octavie ne le réconciliât une seconde fois avec César, gagna Canidius à force d’argent, et le porta à parler en sa faveur à Antoine. Canidius représenta donc à Antoine qu’il n’était ni juste d’éloigner de cette guerre une femme qui fournissait pour la faire des secours si considérables, ni utile à ses intérêts, parce que le départ de Cléopâtre découragerait les Égyptiens, qui étaient la principale force de son armée navale. « D’ailleurs, ajouta-t-il, Cléopâtre, qui a longtemps gouverné seule un si vaste empire, et qui, depuis qu’elle vivait avec toi a appris à conduire les plus grandes affaires, n’est inférieure à aucun des rois qui combattent sous tes ordres. » Ces remontrances triomphèrent de l’opposition d’Antoine ; car il fallait que tout l’empire se réduisît sous la puissance de César.

Quand ils eurent rassemblé toutes leurs forces, ils firent voile pour Samos, où ils passèrent le temps en plaisirs et en fêtes. Car, comme on avait ordonné à tous rois, princes, tétrarques, nations et villes, depuis la Syrie jusqu’aux Palus-Méotides, et jusqu’à l’Arménie et à l’Illyrie, d’apporter ou d’envoyer tout ce dont Antoine avait besoin pour la guerre, on n’avait pas non plus oublié de convoquer à Samos tous les comédiens, farceurs et autres artistes de Bacchus. De sorte que, tandis que la terre entière poussait des soupirs et des gémissements, une île seule retentit, durant plusieurs jours, du son des flûtes et des instruments ; ses théâtres étaient remplis de chœurs qui disputaient le prix des divers genres de poésie.

  1. Environ cent vingt millions de francs.