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mes[1] et les pains d’orge y étaient vendus au poids de l’argent. Ils durent donc recourir aux légumes et aux racines ; encore en trouvèrent-ils si peu de ceux qu’ils avaient coutume de manger, qu’ils se virent contraints d’en essayer qui leur étaient inconnus : ils goûtèrent notamment d’une herbe qui ôtait le sens et donnait la mort. Celui qui en avait mangé perdait la mémoire : il ne reconnaissait plus rien, et ne faisait autre chose que de remuer, de retourner des pierres, comme si c’eût été un travail important et qui méritât ses soins. On ne voyait par toute la plaine que soldats courbés vers la terre, arrachant des pierres et les changeant de place. Enfin, ils vomissaient une grande quantité de bile, et mouraient subitement, surtout depuis que le vin, l’unique remède à ce poison, leur eut manqué. Plusieurs ayant péri de la sorte, et les Parthes ne se retirant point, Antoine s’écria, dit-on, plusieurs fois : « O retraite de dix mille ! » par un sentiment d’admiration pour les compagnons de Xénophon, qui revinrent de la Babylonie en Grèce, trajet beaucoup plus long que celui que ses troupes avaient fait, et qui se retirèrent en sûreté, malgré le nombre infini d’ennemis qu’ils eurent à combattre.

Les Parthes, voyant qu’ils ne pouvaient ni enfoncer ni rompre l’ordonnance des Romains, mais qu’au contraire ils avaient été eux-mêmes plusieurs fois battus et mis en déroute, eurent de nouveau recours à la ruse. Ils se mêlerent, comme en pleine paix, à ceux qui allaient chercher du blé ou autres vivres ; puis, leur montrant leurs arcs débandés, ils leur dirent qu’ils retournaient sur leurs pas, et qu’ils suspendaient ici leur poursuite ; qu’il y aurait bien encore quelques Mèdes qui suivraient les Romains pendant un ou deux jours, mais sans entraver leur marche, et qui se borneraiant à defendre du pillage les

  1. Environ quarante-cinq francs.