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C’était un magnifique spectacle que de voir près du rivage une nombreuse armée qui semblait immobile, et à la rade une flotte puissante qui se tenait à l’ancre, tandis que les chefs et les amis des deux partis se visitaient réciproquement et se donnaient les plus touchants témoignages d’amitié. Antoine reçut le premier César à souper ; car César voulut bien, par amour pour sa sœur, lui céder la priorité. Après qu’ils furent convenus que César donnerait à Antoine deux légions pour la guerre contre les Parthes, et Antoine à César cent galères à proues d’airain, Octavie demanda en outre à son mari vingt brigantins pour son frère, et à son frère mille hommes de plus pour Antoine. Ces conventions faites, on se sépara : César alla incontinent faire la guerre au jeune Pompée, pour reconquérir sur lui la Sicile ; et Antoine, après lui avoir remis entre les mains Octavie, avec ses deux enfants et ceux qu’il avait eus de Fulvie, reprit la route de l’Asie.

Mais la plus funeste de ses calamités, son amour pour Cléopâtre, qui paraissait assoupi depuis longtemps, et qui semblait même avoir cédé à de plus sages conseils, se réveilla avec plus de fureur que jamais, dès qu’il approcha de la Syrie. Enfin, le coursier indocile et fougueux de son âme, comme dit Platon[1], ayant rejeté toutes les réflexions utiles et capables de le retenir, il envoya à Alexandrie Fontéius Capito, pour lui amener Cléopâtre en Syrie. Quand elle arriva, il lui témoigna la joie qu’il avait de la revoir, non en lui faisant de médiocres présents, mais en lui donnant la Phénicie, la Cœlésyrie, l’île de Cypre, et une grande partie de la Cilicie. Il y ajouta de plus cette contrée de la Judée qui porte le baume, et l’Arabie

  1. Dans le Phèdre, Platon compare notre âme à un attelage traîné par deux coursiers et dirigé par un cocher : le coursier rétif figure la partie sensuelle et grossière de nos penchants.