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Lamprias que, suivant alors à Alexandrie les cours de médecine, il avait fait connaissance avec un des officiers de bouche de la maison d’Antoine, lequel lui proposa un jour de venir voir les préparatifs d’un de ces soupers somptueux. Philotas, qui était fort jeune, se laissa entraîner ; et, ayant été introduit dans la cuisine, il vit, entre plusieurs choses qui le frappèrent, huit sangliers à la broche. Comme il se récriait sur le grand nombre de convives qui devaient prendre part à ce festin, l’officier, se prenant à rire, lui dit : « Ils ne seront pas aussi nombreux que tu le penses ; car il n’y aura en tout que douze personnes. Mais, ajouta-t-il, chaque mets doit être servi à un degré de perfection qui ne dure qu’un instant : peut-être qu’Antoine va demander à souper tout à l’heure, et qu’un moment après il fera dire qu’on diffère, parce qu’il voudra boire, ou sera retenu par quelque conversation intéressante. C’est pourquoi on prépare, non un seul souper, mais plusieurs soupers, ne pouvant deviner à quelle heure il voudra être servi. »

Voilà ce que Philotas contait à mon aïeul. Dans la suite, ce même Philotas fut admis à faire sa cour au fils d’Antoine, celui qu’Antoine avait eu de Fulvie ; et, quand le jeune homme ne soupait pas chez son père, Philotas mangeait à sa table avec ses autres familiers. Un soir, qu’il y avait au nombre des convives un médecin présomptueux, et qui importunait tout le monde de son babil, Philotas lui forma la bouche par ce sophisme : « Il faut donner de l’eau froide à celui qui a la fièvre d’une certaine manière ; or, tout homme qui a la fièvre l’a d’une certaine manière : donc il faut donner de l’eau froide à tout homme qui a la fièvre. » Le médecin, frappé de ce sophisme, demeura muet ; et le jeune homme, charmé de son embarras, se prit à rire de bon cœur, et dit à Philotas : « Philotas, je te donne tout cela, » montrant un buffet chargé d’une superbe vaisselle d’argent. Philotas, qui était fort