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parable qu’elle ravît tout d’abord d’étonnement et d’admiration ; mais son commerce avait tant d’attrait, qu’il était impossible d’y résister ; les agréments de sa figure, soutenus du charme de sa conversation et de toutes les grâces qui peuvent relever le plus heureux naturel, laissaient un aiguillon qui pénétrait jusqu’au vif. Sa voix avait une extrême douceur ; et sa langue, qu’elle maniait avec une grande facilité, telle qu’un instrument à plusieurs cordes, prononçait également bien plusieurs idiomes différents ; en sorte qu’il était peu de nations à qui elle parlât par interprète. Elle répondait dans leur propre langue aux Éthiopiens, aux Troglodytes, aux Hébreux, aux Arabes, aux Syriens, aux Mèdes et aux Parthyens. Elle savait encore plusieurs autres langues, tandis que les rois d’Égypte, ses prédécesseurs, n’avaient pu apprendre qu’à grand’peine l’égyptien, et que quelques-uns d’entre eux avaient même oublié le macédonien, leur langue maternelle. Aussi s’empara-t-elle si bien de l’esprit d’Antoine, que, laissant là et sa femme Fulvie, qui, pour les intérêts de son mari, luttait à Rome contre César, et l’armée des Parthes, dont les généraux du roi avaient donné le commandement à Labiénus, qui avait embrassé le parti de César, et qui, déjà en Mésopotamie, à la tête de cette armée, n’attendait que le moment d’entrer en Syrie ; Antoine, dis-je, oubliant toutes ces considérations, se laissa entraîner par Cléopâtre à Alexandrie, où il dépensa, dans l’oisiveté, dans les plaisirs et dans des voluptés indignes de son âge, la chose la plus précieuse à l’homme au jugement d’Antiphon, le temps. Ils avaient formé une association sous le nom d’Amimétobiens[1] ; et ils se traitaient mutuellement tous les jours avec une profusion qui excédait toutes bornes. Le médecin Philotas d’Amphissa racontait à mon aïeul

  1. Ce mot signifie menant une vie inimitable.