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mort, et qui étaient au nombre de trois cents. Antoine exigea que celui qui tuerait Cicéron lui coupât la tête et la main droite, avec laquelle il avait écrit les Philippiques[1] Quand on les lui apporta, il les considéra longtemps avec plaisir, et, dans les transports de sa joie, il poussa à diverses reprises de grands éclats de rire. Après s’être repu de cet horrible spectacle, il les fit clouer dans le Forum au haut de la tribune, comme pour insulter à Cicéron, même après sa mort, ne sentant point qu’en agissant ainsi il s’attaquait à sa propre fortune, et déshonorait publiquement sa puissance. Son oncle, Lucius César, se voyant poursuivi, se réfugia chez sa sœur. Les meurtriers y arrivèrent presque en même temps que lui, et voulurent entrer de force dans la chambre où il était enfermé ; mais sa sœur se tint à la porte les mains tendues, et leur cria plusieurs fois : « Vous ne tuerez point Lucius César qu’auparavant vous ne m’ayez égorgée, moi, la mère de votre général. » Le courage extraordinaire de cette femme imposa aux satellites, et donna à Lucius le temps de se cacher ; et il échappa à la mort.

La domination de ces trois hommes était bien odieuse aux Romains ; mais cette haine s’adressa surtout à Antoine, qui était plus âgé que César et plus puissant que Lépidus, et qui ne se vit pas plutôt dégagé des affaires qu’il avait sur les bras, qu’il se replongea dans sa vie ordinaire de dissolution et de débauche. Outre cette réputation d’intempérance, il s’attira encore la haine publique, en allant habiter la maison du grand Pompée, personnage qui s’était fait non moins admirer par sa tempérance, sa sagesse et la popularité de sa vie que par l’éclat de ses trois triomphes. On ne pouvait voir sans indignation cette maison le plus souvent fermée aux généraux, aux principaux officiers, aux ambas-

  1. Voyez la Vie de Cicéron dans ce volume.