Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

porter en dépôt chez lui tout ce qu’elle avait d’argent, qui se montait à quatre mille talents[1]. Elle lui remit aussi entre les mains tous les papiers de César, parmi lesquels étaient les Mémoires où il avait écrit tout ce qu’il avait fait dans le gouvernement, et ce qu’il se proposait de faire dans la suite. Antoine y inséra tout ce qu’il voulut : et par ce moyen il nomma des magistrats et des sénateurs, il rappela certains bannis, il mit en liberté des prisonniers, disant que tout cela avait été ainsi résolu et arrêté par César. Aussi les Romains appelaient-ils, par plaisanterie, les gens ainsi promus charonites[2], parce que, quand on les sommait de produire leurs titres, ils étaient réduits à les aller chercher dans les registres d’un mort. Antoine disposa de tout avec une puissance absolue : étant alors consul, il avait pour préteur Caïus, son frère, et son autre frère, Lucius, pour tribun du peuple.

Tel était l’état des affaires à Rome lorsque le jeune César y arriva : il était, comme nous l’avons dit, fils de la nièce de César ; et César, par son testament, l’avait déclaré héritier de tous ses biens. Il était à Apollonie quand César fut tué. Dès son arrivée, il alla saluer Antoine, comme l’un des amis de son père adoptif ; et, dans la conversation, il lui rappela le dépôt qui lui avait été confié par Calpurnia ; car une clause du testament de César lui enjoignait de payer à chaque citoyen romain une somme de soixante-quinze drachmes[3]. Antoine, méprisant la jeunesse d’Octave, répondit que ce serait folie à lui, ayant si peu de capacité et dépourvu d’amis, d’accepter la succession de César, qui était un fardeau

  1. Environ vingt-quatre millions de francs.
  2. Les Romains donnaient le nom d’Orcinus, qui est la même chose que Χαρωνίτης en grec, aux affranchis qui devaient leur liberté aux dispositions testamentaires de leur maître défunt.
  3. Environ soixante sept francs cinquante centimes de notre monnaie.