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bien ces hommes maigres et pâles ; » désignant par là Brutus et Cassius, qui depuis conspirèrent contre lui et le tuèrent. Toutefois ce fut Antoine lui-même qui, sans le vouloir, leur donna le prétexte le plus spécieux à leur entreprise ; et voici à quelle occasion.

Le jour que les Romains célébraient les fêtes lycéennes, qu’ils nomment Lupercales, César, vêtu d’une robe triomphale, et assis au Forum, dans la tribune, regardait courir les Luperques. Car la coutume est telle qu’en cette fête les jeunes gens des premières familles et les magistrats eux-mêmes courent tout nus et frottés d’huile, ayant à la main des lanières de cuir blanc, dont ils frappent, par manière de jeu, ceux qu’ils rencontrent[1]. Antoine, qui était un des coureurs, méprisant les coutumes anciennes, prit une couronne de laurier autour de laquelle il mit un diadème ; puis, s’approchant de la tribune, il se fit soulever par ses compagnons, et plaça cette couronne sur la tête de César, comme étant le seul digne d’être roi. César la repoussa et détourna la tête ; et le peuple battit des mains pour témoigner sa satisfaction. Antoine insista, César la repoussa encore ; et cette espèce de combat dura assez longtemps. Lorsque Antoine paraissait l’emporter, il n’était applaudi que par un petit nombre de ses amis ; mais, quand César refusait la couronne, toute la multitude poussait des acclamations de joie : étrange contradiction de ce peuple, qui souffrait qu’on exerçât sur lui toute la puissance royale, et qui avait une telle horreur du titre de roi, qu’il le regardait comme la ruine de la liberté ! César, tout troublé, se leva de son siège ; et, retirant le pan de sa robe d’autour de son cou, il s’écria qu’il présentait la gorge à quiconque voudrait le frapper. La couronne ayant

  1. Voyez, sur cette institution religieuse, la Vie de Romulus dans le premier volume.