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esclave, il arriva la nuit à sa maison, disant qu’il apportait à Fulvie une lettre d’Antoine. On l’introduisit chez sa femme, ayant la tête couverte, de peur qu’on ne le reconnût. Fulvie, qui était dans une mortelle inquiétude, lui demanda, avant de prendre la lettre, si Antoine se portait bien : il lui remit la lettre sans rien répondre ; et, quand elle l’eut décachetée et qu’elle commença à la lire, il se jeta à son cou et l’embrassa. Je pourrais rapporter plusieurs traits de ce genre ; mais celui-là suffit pour faire connaître Antoine.

Quand César revint d’Espagne, les plus grands personnages de Rome allèrent à sa rencontre, à plusieurs journées de la ville. César donna à Antoine, en cette occasion, une grande preuve de considération : il traversa l’Italie, l’ayant à ses côtés dans son char, et derrière lui Brutus Albinus, et le fils de sa nièce, le jeune Octave, celui qui prit depuis le nom de César, et donna si longtemps des lois aux Romains[1]. César, ayant été nommé consul pour la cinquième fois, choisit Antoine pour collègue. Mais bientôt, voulant se démettre du consulat et substituer Dolabella à sa place, il s’en ouvrit au Sénat. Antoine s’y opposa avec tant d’aigreur, il dit tant d’injures à Dolabella, qui de son côté ne les lui épargna point, que César, honteux d’un tel scandale, renonça à son projet. Il ne tarda pas néanmoins à revenir à la charge, et voulut déclarer Dolabella consul ; mais Antoine s’y opposa de nouveau : il se prit à crier que les augures y étaient contraires ; et César finit par céder : il abandonna Dolabella, qui en fut vivement piqué. Ce n’est pas que César eût pour Dolabella moins de mépris que pour Antoine ; car on assure que, quelqu’un les lui ayant dénoncés l’un et l’autre comme suspects : « Ce ne sont pas, répondit-il, ces gens si gras et si bien frisés que je redoute, mais

  1. L’empereur Auguste.