Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dant, surpris de l’énormité de la somme, et voulant qu’Antoine en pût juger lui-même, étala tout cet argent sur son passage. Antoine, l’ayant aperçu, demanda ce que c’était. « C’est, répondit l’intendant, l’argent que tu m’as commandé de donner. — Je croyais, reprit alors Antoine, qui s’aperçut de la malice de cet homme, qu’un million de sesterces faisait une somme beaucoup plus considérable ; mais, puisque c’est si peu de chose, tu en ajouteras encore une fois autant. » Mais ceci n’eut lieu que longtemps après.

À cette époque, Rome était divisée en deux factions : celle des nobles, ayant à leur tête Pompée, lequel était alors dans la ville ; et celle du peuple, qui rappelait César des Gaules, où il faisait la guerre. Curion, ayant quitté le parti du Sénat pour embrasser celui de César, y attira Antoine, dont il était l’ami ; et, comme son éloquence lui donnait un grand pouvoir sur la multitude, et qu’il répandait d’ailleurs à profusion l’argent que César lui faisait passer, il fit tant qu’Antoine fut nommé tribun du peuple, et, bientôt après, associé au collège des prêtres qui présagent l’avenir par le vol des oiseaux, et que les Romains appellent augures. Antoine, à peine entré en charge, seconda puissamment les vues politiques de César. Il s’opposa d’abord au consul Marcellus, qui assignait à Pompée les troupes déjà sur pied, et l’autorisait à faire encore de nouvelles levées ; il fit décréter que l’armée qui était rassemblée serait envoyée en Syrie, pour renforcer celle de Bibulus, qui faisait la guerre aux Parthes, et que personne ne pourrait désormais s’enrôler sous Pompée. En second lieu, comme le Sénat refusait de recevoir et de lire dans l’assemblée les lettres de César, Antoine, en vertu du pouvoir que lui donnait sa charge, les lut publiquement, et fit que plusieurs des sénateurs changèrent d’opinion voyant que César ne demandait rien que de juste et de raisonnable. Enfin,