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Les Athéniens firent aussitôt des sacrifices pour remercier les dieux de l’heureuse nouvelle, et ils décernèrent une couronne à Pausanias[1]. Démosthène parut en public couronné de fleurs et magnifiquement vêtu, quoiqu’il n’y eût que sept jours qu’il avait perdu sa fille. Eschine, qui rapporte le fait, lui adresse, à cette occasion, de vifs reproches, et l’accuse de ne point aimer ses enfants ; mais c’est là, dans Eschine, une preuve de lâcheté et de mollesse, puisque c’est regarder les gémissements et les plaintes comme les marques d’une âme douce et aimante, et blâmer le courage qui fait supporter avec constance et résignation les calamités domestiques.

Quant à moi, je ne saurais approuver les Athéniens de s’être couronnés de fleurs et d’avoir fait des sacrifices pour la mort d’un roi qui, loin d’abuser de sa victoire, les avait traités dans leur malheur avec tant de douceur et d’humanité. Outre qu’ils s’exposaient à la vengeance céleste, il y avait peu de noblesse dans cette conduite : ils avaient honoré Philippe vivant, ils lui avaient décerné le titre de citoyen d’Athènes ; et, après qu’il est tombé sous les coups d’un assassin, ils ne peuvent contenir leur joie ; ils foulent aux pieds son cadavre, et chantent sur sa mort des airs de triomphe, comme si cette mort était l’œuvre de leur bravoure. Mais en même temps je loue Démosthène, qui laisse aux femmes le soin de pleurer, de gémir sur leurs malheurs personnels, et ne s’occupe que de ce qu’il croit utile à sa patrie. C’est, à mon gré, le caractère d’une âme généreuse et digne de gouverner, que de se tenir invariablement attaché au bien public, de soumettre ses chagrins et ses affaires domestiques aux intérêts de l’État, et de conserver la dignité du caractère dont on est revêtu, avec plus de soin encore que ne font les comédiens qui jouent les rôles de rois et de tyrans :

  1. Le meurtrier de Philippe.