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s’élevèrent avec force contre lui, et le citèrent en justice, pour lui demander compte de sa conduite ; mais le peuple, non content de le renvoyer absous, lui déféra de nouveaux honneurs : on le rappela au maniement des affaires, comme l’orateur le plus zélé pour le bien public ; et on le chargea de prononcer l’éloge funèbre des Athéniens morts à Chéronée, dont les ossements avaient été rapportés à Athènes pour y recevoir les honneurs de la sépulture. Ce choix prouve que le peuple n’était ni abattu ni flétri par son malheur, comme le prétend Théopompe dans ses lamentations tragiques : les distinctions et les honneurs qu’il prodiguait à celui qui avait conseillé la guerre tirent voir, au contraire, qu’il ne se repentait pas d’avoir suivi ses conseils.

Démosthène prononça donc l’oraison funèbre[1] ; mais il ne mit plus désormais son nom aux décrets qu’il proposa : il les inscrivit successivement du nom de chacun de ses amis, afin de conjurer sa malencontreuse fortune, jusqu’au moment où la mort de Philippe lui fit reprendre confiance en lui-même. Car Philippe ne survécut pas longtemps à sa victoire de Chéronée ; et c’est là, ce semble, ce que prédisait le dernier vers de l’oracle :

Le vaincu pleure, et le vainqueur a péri.

Démosthène fut secrètement informé de la mort du roi de Macédoine ; et, pour disposer par avance les Athéniens à bien espérer de l’avenir, il se rendit au conseil la joie peinte sur le visage, et raconta que, la nuit précédente, il avait eu un songe qui présageait aux Athéniens quelque grand bonheur ; et, peu de temps après, des courriers apportèrent la nouvelle de la mort de Philippe.

  1. Il y a, dans les œuvres de Démosthène, une oraison funèbre qu’on donne pour celle qu’il a prononcée dans cette circonstance ; mais les anciens eux-mêmes la regardaient déjà comme apocryphe.