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putés des Athéniens, quoique les Athéniens fussent de tous les Grecs ceux à qui il témoignait le plus d’égards. Lacédémone ne lui ayant envoyé qu’un seul député, il s’en irrita fort, et prit cela pour une marque de mépris. Mais le député lui fit une réponse plaisante et toute laconienne. « Quoi donc ! avait dit Démétrius, les Lacédémoniens ne m’envoient qu’un seul député ? — Oui, seigneur, répondit le député, un seul à un seul. » Un jour, comme il marchait dans les rues avec des manières plus populaires que de coutume, et qu’il paraissait d’un abord plus facile, quelques Macédoniens accoururent, et lui présentèrent des placets. Il les reçut tous, et les mit dans un pan de son manteau. Les suppliants, transportés de joie, le suivirent pendant quelque temps ; mais, arrivé sur le pont de l’Axius[1] Démétrius ouvrit son manteau, et laissa tomber toutes les requêtes dans la rivière.

Ce mépris blessa les Macédoniens : c’était là, suivant eux, outrager les gens et non point gouverner en roi. Et ce traitement leur parut d’autant plus dur, qu’ils se souvenaient d’avoir vu eux-mêmes, ou d’avoir entendu dire combien le roi Philippe était doux et populaire. Un jour, une pauvre vieille femme l’arrêta sur son passage, le suppliant de l’écouter ; et, comme il répondit qu’il n’en avait pas le loisir : « Ne te mêles donc pas d’être roi, » répliqua cette femme. Ce mot le frappa tellement, et lui fit faire de si sérieuses réflexions, que, rentré dans le palais, il laissa de côté toutes ses autres affaires, donna audience à tous ceux qui se présentèrent, en commençant par cette femme, et ne s’occupa d’autre chose pendant plusieurs jours. Rien, en effet, n’est plus convenable à un roi que de rendre la justice ; car Mars est un tyran, comme dit Timothée, mais la loi, selon Pindare, est la reine de l’univers. Aussi les rois ont reçu de Jupiter, non

  1. Fleuve de la haute Macédoine.