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marquable beauté, il considérait attentivement le visage d’Antiochus, et observait, sur toutes les parties de son corps, ces mouvements qui sont comme l’expression des affections de l’âme. Il ne remarquait en lui rien d’extraordinaire quand d’autres personnes venaient le voir ; mais, chaque fois que Stratonice entrait dans la chambre, soit seule, soit avec Séleucus, Antiochus éprouvait tous les symptômes que décrit Sapho[1] : sa voix s’oppressait, son visage devenait rouge et enflammé ; un nuage épais couvrait ses yeux ; la sueur inondait son corps ; l’inégalité de son pouls en marquait le désordre ; enfin, il y avait accablement de l’âme, étouffement, et, par suite, tremblement, pâleur.

Ces observations convainquirent Érasistrate qu’Antiochus était amoureux de Stratonice, et qu’il avait résolu de se laisser mourir plutôt que d’avouer sa passion ; mais il sentit en même temps tout le danger qu’il y avait à révéler ce secret. Néanmoins, comme il se confiait dans l’amitié de Séleucus pour son fils, il se hasarda un jour, et dit au roi que l’amour seul causait la maladie d’Antiochus, mais que, malheureusement, c’était un amour sans remède. « Comment, sans remède ? demanda Séleucus étonné. — Oui, sans remède, répondit Érasistrate ; car c’est de ma femme qu’il est amoureux. — Hé quoi ! mon cher Érasistrate, repartit Séleucus, par amitié pour nous, tu ne céderais pas ta femme à mon fils, à ce fils, notre unique espérance ? — Mais toi-même, répliqua Érasistrate, toi qui es père, si Antiochus était amoureux de Stratonice, la lui céderais-tu ? — Ah ! mon ami, répliqua vivement Séleucus, qu’un dieu ou un homme fasse changer d’objet à la passion

  1. Tout le monde connaît l’ode à laquelle Plutarque fait allusion, qui a été conservée par Longin dans le Traité du sublime, et traduite en vers par Boileau.