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homme de cœur ; mais, dans la bataille, il ne fit rien d’honorable, rien qui répondît à l’énergie de ses discours : il abandonna honteusement son poste, et jeta ses armes, sans rougir, dit Pythéas, de démentir la devise gravée en lettres d’or sur son bouclier : À LA BONNE FORTUNE.

Philippe, dans l’excès de joie que lui causa sa victoire, oublia d’abord toute décence : il alla, plein de vin, insulter aux morts qui gisaient sur la plaine, et se mit à chanter, en scandant et en battant la mesure, les premiers mots du décret que Démosthène avait rédigé :

Démosthène, fils de Démosthène, Péanien[1],
A dit…

Mais, quand il fut revenu de son ivresse, et qu’il réfléchit en lui-même à la lutte terrible où il avait dû s’engager, il frissonna d’horreur, en pensant que l’éloquence et le crédit de cet orateur l’avaient obligé de risquer en un seul combat, et dans une petite partie d’une journée, son royaume et sa vie.

Le renom de Démosthène parvint jusqu’au roi de Perse, lequel fit passer à ses satrapes des sommes considérables, avec ordre de les lui donner, et de le traiter avec plus de distinction que tous les autres Grecs, comme le seul homme capable de susciter des embarras au Macédonien, et de le retenir en fomentant des troubles dans la Grèce. Cette manœuvre fut découverte depuis par Alexandre, qui trouva dans Sardes des lettres de Démosthène, et les registres des généraux du roi où étaient inscrites les sommes payées à l’orateur. Le désastre que la Grèce venait d’éprouver à Chéronée rendit une nouvelle audace aux orateurs ennemis de Démosthène : ils

  1. Ces premiers mots du décret forment en grec un vers iambique trimètre.