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les cicatrices d’une bête plus furieuse encore, d’une Lamia. »

Du reste, c’est chose fort étonnante que Démétrius, qui avait témoigné tant de répugnance à épouser Phila, à cause de la disproportion de l’âge, ait conservé pendant si longtemps la plus vive passion pour Lamia, qui était déjà fanée. Aussi la courtisane Démo, surnommée Mania[1], à qui Démétrius demandait, dans un souper où Lamia venait de jouer de la flûte, ce qu’elle en pensait, lui répondit : « Elle est vieille. » À un autre souper, comme on avait servi de fort beaux fruits : « Vois-tu, dit Démétrius à Démo, tous les beaux fruits que Lamia m’envoie ? — Si tu voulais coucher avec ma mère, répondit la courtisane, elle t’en enverrait bien davantage encore. » On cite le sentiment de Lamia sur le jugement si célèbre de Bocchoris. Un Égyptien était devenu amoureux de la courtisane Thonis ; mais Thonis lui demandait une somme d’argent considérable. Enfin il crut en songe avoir commerce avec elle, et tous ses désirs s’en éteignirent. Mais Thonis le fit appeler en justice, pour avoir à lui payer la somme demandée. Bocchoris, informé de cette affaire, ordonna que l’Égyptien porterait au tribunal toute la somme dans un bassin ; et que là, il le ferait passer et repasser devant la courtisane, afin qu’elle jouît de l’ombre de l’argent, parce que, disait-il, l’opinion est l’ombre de la vérité. Mais Lamia ne trouvait pas ce jugement équitable. « L’ombre de l’argent, disait-elle, n’éteignit point le désir de Thonis, au lieu que le songe amortit celui de l’Égyptien. » Mais c’en est assez sur Lamia.

Maintenant, la fortune de celui dont nous écrivons la vie va éprouver une suite de revers qui rendront la scène tragique de comique qu’elle était. Les autres rois s’étant

  1. C’est-à-dire folie.