Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/230

Cette page a été validée par deux contributeurs.


DÉMÉTRIUS.


(De l’an 337 à l’an 283 avant J.-C.)

Ceux qui les premiers ont émis cette opinion, que les arts sont semblables aux sens dont la nature nous a pourvus, me paraissent avoir parfaitement compris cette faculté qui dirige le jugement des uns et des autres, et qui nous fait discerner dans chaque chose les deux contraires. Cette faculté est commune aux sens et aux arts ; mais ils diffèrent entre eux par la fin à laquelle ils rapportent les choses dont ils jugent. Car les sens n’ont pas seulement la puissance de distinguer le blanc et le noir, le doux et l’amer, le dur et le mou, ce qui cède et ce qui résiste ; mais ils ont encore cela de propre, et c’est leur principale fonction, d’être mus par tous les objets qui s’offrent à eux, et de transmettre ensuite à l’entendement les impressions qu’ils ont revues. Mais les arts, qui ont pour but, aidés de la raison, de choisir et de recevoir ce qui leur convient, et de rejeter ce qui leur est opposé, considèrent principalement, et par eux-mêmes, ce qui leur est propre, et ne s’occupent de ce qui leur est étranger qu’accidentellement, et pour s’en garder. En effet, ce n’est que par accident, et pour produire leurs contraires, que la médecine s’occupe de la maladie et la musique des discordances ; mais les plus parfaits de tous les arts, la tempérance, la justice, la prudence, qui enseignent à juger, non-seulement de ce qui est honnête, juste et utile, mais encore de ce qui est nuisible, honteux et injuste, ne font nul cas de cette simplicité qui se glorifie de ne savoir pas ce que c’est que le mal : ils la regardent, au contraire, comme une sotte