Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/225

Cette page a été validée par deux contributeurs.

plus grand éloge qu’on peut donner au désintéressement des Gracques, c’est que, dans l’exercice de leurs charges et durant leur administration politique, ils eurent toujours les mains pures, et ne se souillèrent par aucun gain injuste ; mais Agis se fût indigné si quelqu’un l’eût loué de n’avoir rien pris du bien d’autrui, lui qui fit don du sien propre à ses concitoyens, et qui, outre les possessions considérables qu’il leur abandonna, mit en commun six cents talents[1] d’argent monnayé. On peut juger par là quel crime aurait vu dans tout gain illicite celui qui regardait comme avarice de posséder, même légitimement, plus de bien que ses concitoyens.

Il y eut entre ces deux Grecs et ces deux Romains une grande différence quant à la grandeur et à l’audace dans les innovations que les uns et les autres mirent en avant. Les Gracques se bornèrent presque uniquement à faire construire des grands chemins, et à repeupler des villes : le trait le plus hardi de Tibérius fut le partage des terres ; celui de Caïus, le mélange dans les tribunaux des chevaliers avec les sénateurs. Au lieu qu’Agis et Cléomène, persuadés qu’entreprendre en détail de petites réformes, c’était vouloir, suivant la pensée de Platon[2], couper les têtes de l’hydre, introduisirent un changement capable de remédier à tous les maux publics ; ou, pour parler plus véritablement, ils proscrivirent les innovations que leurs prédécesseurs avaient faites, et qui étaient devenues la source de tous les maux, et rétablirent dans Sparte l’ancienne forme de gouvernement, la seule qui lui fut séante.

On peut ajouter de plus que l’administration des Gracques trouva des contradicteurs parmi les principaux personnages de Rome, tandis que la réforme commencée

  1. Environ trois millions six cent mille francs.
  2. Au livre quatrième de la République.