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Le jour qu’Opimius devait casser les lois de Caïus, les deux partis allèrent de grand matin occuper le Capitole. Après que le consul eut fait son sacrifice, un de ses licteurs, nommé Quintus Antyllius, qui portait les entrailles des victimes, dit à Fulvius et à ses partisans : « Faites place aux gens de bien, méchants citoyens que vous êtes ! » Quelques-uns prétendent même qu’en disant ces mots, il tendit vers eux son bras nu, avec un geste malhonnête et insultant. À l’instant même Antyllius fut tué sur la place, à coups de poinçons, faits exprès pour cet usage. Ce meurtre jeta le trouble parmi le peuple ; mais il affecta les deux partis d’une manière bien différente. Caïus en eut un véritable chagrin, et reprocha avec aigreur à ceux qui l’environnaient d’avoir donné prise sur eux à leurs ennemis, qui, depuis longtemps, ne cherchaient qu’un prétexte. Opimius, de son côté, saisit avec empressement l’occasion qui se présentait : il en prit plus de confiance, et excita le peuple à se venger ; mais une pluie qui survint sépara les deux partis.

Le lendemain, à la pointe du jour, le consul assembla le Sénat ; et, comme on délibérait dans la salle, des gens disposés pour cet effet mirent sur un lit funèbre le corps d’Antyllius, et le portèrent à travers le Forum jusqu’au Sénat, en poussant de grands cris et des gémissements. Opimius n’ignorait nullement ce que c’était ; mais il feignit de n’en rien savoir, et affecta de l’étonnement. Les sénateurs sortirent donc pour prendre connaissance du fait ; et, voyant le lit posé au milieu de la place, plusieurs d’entre eux en parurent vivement affligés, comme d’un malheur qu’on ne pouvait trop déplorer. Mais cette hypocrisie raviva la haine du peuple contre les nobles. « Ils ont tué, disait-il, de leurs propres mains, dans le Capitole, Tibérius Gracchus, et fait jeter son corps dans le Tibre ; et Antyllius, un misérable licteur, qui peut-être n’a pas mérité la mort, mais qui du