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eût été honorable de lui refuser au risque d’encourir sa haine. Livius mit donc au service des passions du Sénat la puissance dont il était investi comme tribun, et proposa des lois qui, sans offrir nul motif d’honnêteté ou d’utilité, n’avaient d’autre but que de l’emporter sur Caïus auprès de la multitude, à force de complaisances et de flatteries, comme dans les comédies les poëtes rivalisent à qui divertira le mieux le spectateur[1].

Le Sénat, en agissant ainsi, montrait d’une manière évidente qu’il était irrité, non point contre les lois de Caïus, mais contre sa personne, et qu’il avait en vue ou de le faire périr, ou de le réduire à un état de faiblesse dont on n’eût rien à craindre. En effet, Caïus ayant proposé l’établissement de deux colonies où l’on enverrait les plus honnêtes citoyens, les sénateurs l’accusèrent de vouloir corrompre le peuple : au contraire, ils appuyèrent la loi de Livius, qui ordonnait d’en établir douze, chacune de trois mille citoyens indigents. Le Sénat haïssait Caïus comme corrupteur de la multitude, parce qu’il avait imposé d’une rente annuelle, en faveur du trésor public, les terres distribuées aux citoyens pauvres ; et il sut gré à Livius lorsqu’il déchargea les terres de cette imposition. Caïus avait donné le droit de cité romaine à tous les peuples du Latium, et cette concession avait déplu au Sénat ; et, comme Livius eut défendu qu’on frappât de verges tout soldat latin, sa loi fut vivement soutenue par le Sénat. Aussi Livius, dans les harangues qu’il faisait avant de proposer ses lois, disait-il toujours qu’elles avaient l’approbation du Sénat, lequel n’avait rien tant à cœur que l’intérêt du peuple. Le seul avantage qui en résulta, c’est que le peuple devint plus

  1. Allusion aux luttes des concours dramatiques, où l’on couronnait le poëte dont la pièce ou les pièces emportaient le plus d’applaudissements.