Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/204

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ments pour ses soldats ; mais les villes députèrent à Rome en toute hâte, pour solliciter la décharge de cette contribution ; et le Sénat, ayant accueilli leur requête, enjoignit au consul de se pourvoir ailleurs d’habillements pour ses troupes. Comme le général ne savait où en prendre, et que les soldats souffraient beaucoup de la rigueur du froid, Caïus alla lui-même de ville en ville, et fit tant auprès des habitants, qu’il les détermina à secourir des Romains, et à leur envoyer des vêtements. La nouvelle de ce succès, portée à Rome, parut comme l’essai et le prélude de Caïus pour gagner la faveur du peuple, et troubla fort le Sénat.

En ce temps-là arrivèrent d’Afrique des ambassadeurs du roi Micipsa, qui venaient annoncer au Sénat que le roi, par considération pour Caïus Gracchus, avait envoyé un convoi de blé en Sardaigne au général romain. Les sénateurs, outrés de dépit, chassèrent les ambassadeurs, et ordonnèrent que les troupes de Sardaigne seraient relevées, mais que le consul Orestès serait continué dans le commandement, ne doutant point que Caïus n’y demeurât aussi pour exercer la questure. Mais Caïus n’eut pas plutôt appris ces nouvelles, que, n’écoutant que sa colère, il s’embarqua. Il parut à Rome, contre l’attente générale : ce qui le fit blâmer non-seulement par ses ennemis, mais par le peuple lui-même, qui trouvait fort étrange qu’un questeur eût quitté l’armée avant son général. Cité devant les censeurs, il demanda à se défendre, et changea si bien les dispositions des auditeurs, qu’il fut absous, et que personne ne sortit de l’assemblée qui ne fut persuadé qu’on lui avait fait une grande injustice[1]. Il allégua pour sa défense, qu’obligé par les lois à dix campagnes seulement, il en avait fait douze ; qu’il était

  1. Aulu-Gelle nous a conservé plusieurs passages du discours apologétique de Caïus.