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de Démosthène sont fondés sur ce principe, que le beau mérite seul, par lui-même, notre préférence : ainsi, la harangue sur la Couronne, les discours contre Aristocratès et sur les Immunités, enfin les Philippiques. Dans tous ces discours, ce n’est point à ce qui eût été le plus doux, le plus facile et le plus utile, qu’il amène ses concitoyens : en mille endroits il leur enseigne que ce qui intéresse la sûreté et le salut public ne doit venir qu’après le beau et l’honnête. Si, à la noble ambition qui le guidait dans ses entreprises, si, à la grandeur d’âme qui éclatait dans ses discours, il eût joint le courage militaire et un entier désintéressement, il mériterait d’être mis, non point au nombre des grands orateurs de son temps, avec Mœroclès, Polyeucte et Hypéride, mais à un rang bien plus élevé, avec Cimon, Thucydide[1] et Périclès. Parmi ses contemporains, en effet, Phocion, chef d’un parti peu estimé, Phocion, qui semblait favoriser les Macédoniens, ne laissa pas néanmoins d’être placé, à cause de sa valeur et de sa justice, à côté d’Éphialte, d’Aristide et de Cimon. Démosthène, au contraire, qui payait mal de sa personne sous les armes, comme dit Démétrius, et qui n’était pas complètement invincible à l’appât des présents ; Démosthène qui, tout en se montrant inaccessible à l’or de Philippe et de la Macédoine, ouvrit sa porte à celui qu’on envoyait de la haute Asie, de Suse et d’Ecbatane[2], et consentit à s’en souiller ; Démosthène, dis-je, était très-propre à louer, mais non à imiter les vertus de ses ancêtres.

Cependant il fut toujours, par sa conduite, bien au-dessus des orateurs de son temps, Phocion seul excepté ;

  1. L’orateur qui fut le rival de Périclès et le soutien du parti aristocratique dans Athènes.
  2. C’est l’or qu’Artaxerxès envoyait en Grèce pour s’y faire des partisans.