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fit naître entre Octavius et lui des combats continuels dans la tribune ; mais, bien qu’ils y parlassent l’un et l’autre avec non moins de véhémence que d’obstination, jamais, néanmoins, il ne leur échappa une parole injurieuse, ni un mot dicté par la colère : tant il est vrai qu’un bon naturel et une sage éducation modèrent l’esprit et le retiennent dans des bornes honnêtes, non-seulement dans l’ivresse des plaisirs, mais même dans les emportements de la colère !

Tibérius, voyant que sa loi touchait personnellement Octavius, qui possédait beaucoup de terres publiques, offrit, s’il voulait mettre fin à son opposition, de lui rendre, de son bien propre, qui n’était pas fort considérable, la valeur des terres qu’il serait obligé de relâcher. Octavius rejeta cette offre ; et Tibérius rendit une ordonnance par laquelle il suspendait l’exercice des fonctions de toute magistrature, jusqu’à ce que sa loi eût été soumise aux suffrages du peuple. Il ferma lui-même et scella de son propre sceau les portes du temple de Saturne, afin que les questeurs ne pussent y rien prendre, ni rien y porter. Il prononça de fortes amendes contre ceux des préteurs qui désobéiraient à son ordonnance : de sorte que tous les magistrats, qui craignaient d’encourir la punition, suspendirent l’exercice de leurs charges. Les possesseurs de terres prirent, à cette occasion, des habits de deuil, et parurent sur le Forum dans un état de tristesse et d’abattement extrêmes. Ils dressèrent secrètement des embûches à Tibérius, et apostèrent des meurtriers pour l’assassiner ; mais Tibérius, en ayant été averti, porta sous sa robe, au vu de tout le monde, un de ces poignards de brigand, que les Romains appellent dolons[1].

Le jour de l’assemblée, au moment où Tibérius ap-

  1. Ce mot vient de dolus, ruse, tromperie. Le dolon était un bâton creux, dans lequel était une lame de poignard. C’est une des armes que Virgile, dans l’Énéide, donne aux soldats d’Aventinus :

    Pila manu, sævosque gerunt in bella dolones.