Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/186

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que Tibérius, allant de Rome à Numance, traversa l’Étrurie ; que là, voyant le pays désert, et qui n’avait pour laboureurs et pour pâtres que des étrangers et des Barbares, il conçut la première pensée de l’entreprise qui fut pour eux la source de tant de maux. Mais, en réalité, ce fut le peuple lui-même qui enflamma le plus son ambition, et hâta sa détermination, en couvrant les portiques, les murailles et les tombeaux, d’affiches par lesquelles on l’excitait à faire rendre aux pauvres les terres du domaine. Au reste, il ne rédigea pas seul la loi : il prit conseil des citoyens les plus distingués par leur vertu et leur réputation ; c’étaient, entre autres, Crassus le grand pontife, Mucius Scévola, jurisconsulte célèbre et alors consul, et Appius Claudius, beau-père de Tibérius. Cette loi était d’ailleurs la plus douce et la plus modérée qu’on pût faire contre tant d’injustice et de cupidité. Car ces hommes, qui méritaient d’être punis de leur désobéissance, et chassés avec amende des terres dont ils jouissaient en dépit des lois, il leur ordonnait seulement de s’en dessaisir, après en avoir reçu le prix, et de les céder à ceux des citoyens qui en avaient besoin pour vivre.

Quelque douce que fût cette réforme, le peuple s’en contentait : il consentait volontiers à oublier le passé, pourvu qu’à l’avenir on ne lui fît plus d’injustice. Mais les riches et ceux qui possédaient de grands biens, révoltés par avarice contre la loi et contre le législateur, cherchèrent, par colère et par opiniâtreté, à empêcher le peuple de la ratitier : ils lui peignaient Tibérius comme un séditieux, qui n’avait d’autre but, en proposant un nouveau partage des terres, que de troubler le gouvernement, et de mettre la confusion dans les affaires. Mais leurs efforts furent vains : Tibérius soutenait cette cause, la plus belle et la plus juste de toutes, avec une éloquence capable de justifier la plus mauvaise. Il se montrait redoutable et invincible, lorsque, du haut de la tri-