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servèrent chacun la portion qui lui était échue dès l’origine des partages. Mais, dans la suite, les voisins riches étant parvenus à se faire adjuger ces fermes sous des noms empruntés, puis enfin à les tenir ouvertement en leur propre nom, les pauvres, ainsi dépossédés, ne montrèrent plus d’empressement pour le service militaire, et ne se soucièrent plus d’élever des enfants ; de sorte que l’Italie se voyait sur le point d’être dépeuplée d’hommes libres, et remplie d’esclaves barbares, dont les riches se servaient pour cultiver les terres d’où ils avaient chassé les citoyens romains. Caïus Lélius, l’ami particulier de Scipion, essaya de remédier à cet abus ; mais, les puissants s’y étant opposés, il craignit une sédition, et abandonna l’entreprise. Ce fut cette modération qui lui valut le surnom de Sage ou de Prudent ; car le mot sapiens signifie, je crois, l’un et l’autre.

Tibérius, nommé tribun du peuple, reprit aussitôt le projet de Lélius. La plupart des historiens disent qu’il le fit à l’instigation de Diophanès le rhéteur, et de Blossius le philosophe. Le premier était un banni de Mitylène ; l’autre, né à Cumes en Italie, avait été étroitement lié à Rome avec Antipater de Tarse, qui l’avait honoré de la dédicace de quelques-uns de ses traités philosophiques. Quelques écrivains leur donnent pour complice Cornélie, qui reprochait sans cesse à ses fils d’être encore appelée par les Romains la belle-mère de Scipion, et non la mère des Gracques. D’autres prétendent qu’un certain Spurius Postumius, compagnon d’enfance de Tibérius, et son rival en éloquence, fut la cause indirecte de cette entreprise. Tibérius, à son retour de l’armée, voyant que Spurius l’emportait de beaucoup sur lui en réputation et en crédit, et qu’il était l’objet de l’admiration générale, résolut de le surpasser, en exécutant ce hasardeux projet, qui tenait la ville entière dans une grande attente. Toutefois Caïus, son frère, rapporte, dans un écrit qu’il a laissé,