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livré aux Numantins, nu et chargé de fers[1], et fit grâce à tous les autres pour l’amour de Tibérius. Scipion, alors le plus grand des Romains et le plus considéré, fut, en cette occasion, à ce que l’on croit, fort utile à Tibérius ; mais il ne laissa pas d’être blâmé, de n’avoir pas empêché la condamnation de Mancinus, et fait confirmer le traité conclu avec les Numantins, dont Tibérius, son ami et son parent, était l’auteur.

Il paraît que ces plaintes venaient, pour la plupart, de l’ambition de Tibérius et du zèle trop ardent de ses amis et de quelques sophistes qui cherchaient à l’irriter contre Scipion ; pourtant leur mésintelligence ne dégénéra point en une inimitié déclarée, et ne produisit rien de fâcheux. Il est même fort probable que Tibérius eût évité les malheurs qu’il éprouva depuis, si Scipion se fût trouvé à Rome lorsqu’il publia ses lois ; mais Scipion était déjà devant Numance, occupé à faire la guerre, quand Tibérius entreprit de les faire passer ; voici à quelle occasion.

Les Romains avaient coutume de vendre une partie des terres conquises sur leurs ennemis d’Italie, et d’annexer les autres au domaine de la république : ces dernières étaient affermées à ceux des citoyens qui ne possédaient aucun bien-fonds, moyennant une légère redevance au trésor public. Les riches, ayant porté ces rentes à un taux plus élevé, avaient évincé les pauvres de leurs possessions : on fit donc une loi qui défendait à tout citoyen de posséder plus de cinq plèthres[2] de terre. Cette loi contint d’abord la cupidité des riches, et vint au secours des pauvres, qui demeurèrent, par ce moyen, sur les terres qui leur étaient affermées, et con-

  1. C’est Mancinus lui-même qui avait proposé la loi ; mais les Numantins lui rendirent la liberté.
  2. Le plèthre était une mesure d’un peu plus de trente mètres de côté.