Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/178

Cette page a été validée par deux contributeurs.

maternelle, qu’il parut que Tibérius avait sagement fait de préférer sa propre mort à celle d’une femme d’un tel mérite. Le roi Ptolémée lui offrit de venir partager son diadème, avec le rang et le titre de reine ; mais elle refusa. Durant son veuvage, elle perdit la plupart de ses enfants : il ne lui resta qu’une fille, qui fut mariée au jeune Scipion, et deux fils, Tibérius et Caïus, dont nous écrivons la vie. Elle éleva ses fils avec tant de soin que, bien qu’ils fussent, de l’aveu de tout le monde, les Romains les plus heureusement nés pour la vertu, leur excellente éducation parut avoir encore surpassé la nature. Mais, comme dans les statues et les portraits des Dioscures[1] on aperçoit, malgré la ressemblance de leurs traits, une certaine différence qui fait reconnaître que l’un était plus propre à la lutte et l’autre à la course, de même la grande conformité qu’avaient entre eux ces deux jeunes hommes, pour la force, la tempérance, la libéralité, l’éloquence et la magnanimité, n’empêchait pas qu’il n’éclatât, et dans leurs actions et dans leur conduite politique, des différences marquées, que je crois à propos d’exposer avant d’entrer dans le détail de leur vie.

Premièrement, Tibérius avait l’air du visage, le regard et les mouvements doux et posés ; Caïus, au contraire, était vif et véhément. Lorsqu’ils parlaient en public, l’un se tenait toujours à la même place, avec un maintien plein de réserve ; l’autre fut le premier chez les Romains qui donna l’exemple de se promener dans la tribune, et de tirer sa robe de dessus ses épaules ; comme on raconte de Cléon l’Athénien qu’il fut le premier orateur qu’on vit ouvrir son manteau et se frapper la cuisse. En second lieu, l’éloquence de Caïus, terrible, passionnée, saisissait violemment les esprits ; celle de Tibérius, plus douce, était plus propre à exciter la compassion. Sa diction était

  1. Castor et Pollux.