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Cléomène ne pouvait se plaire à la vie molle qu’il menait ; mais il consumait son cœur, ainsi qu’Achille,

Languissant à sa place, et regrettant la mêlée et la guerre[1].

Telle était la situation de Cléomène en Égypte, lorsque Nicagoras le Messénien vint à Alexandrie. Cet homme haïssait Cléomène, mais conservait avec lui les dehors de l’amitié. Il lui avait vendu autrefois une maison de campagne fort belle, dont il n’avait pas reçu le montant, soit que le défaut d’argent, de loisir, ou peut-être les embarras de la guerre eussent empêché Cléomène d’acquitter cette dette. Cléomène se promenait sur la grève du port, au moment où Nicagoras débarqua : il alla le saluer avec amitié, et lui demanda quelles affaires l’amenaient en Égypte. Nicagoras, lui ayant rendu ses témoignages d’affection, répondit qu’il amenait au roi de beaux chevaux de bataille. Sur cela Cléomène se prit à rire, et lui dit : « Il eût mieux valu que tu eusses amené des chanteuses et des baladins ; car voilà ce qui seul intéresse aujourd’hui le roi. » Nicagoras sourit alors à ce propos. Peu de jours après, il rappela à Cléomène la maison de campagne qu’il lui avait vendue, et le pria de lui en compter le prix sur-le-champ, l’assurant qu’il ne l’importunerait pas, s’il n’avait fait une perte considérable sur sa cargaison. Cléomène répondit qu’il ne lui restait pas la moindre chose de la pension que le roi lui donnait ; et Nicagoras, mécontent de ce refus, alla rapporter à Sosibius la raillerie de Cléomène. Sosibius l’écouta avec plaisir ; mais, voulant avoir un sujet plus grave et plus capable d’irriter Ptolémée, il persuada à Nicagoras de laisser, en partant, une lettre pour le roi, par laquelle il lui donnerait avis que Cléomène avait formé le projet d’aller, avec les vaisseaux et les troupes qu’il lui donne-

  1. Iliade, i, 491.