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même : il y a également honte à vivre et à mourir pour soi. C’est là pourtant ce que tu nous conseilles, en nous excitant à nous délivrer de notre infortune présente, sans nous proposer du reste rien d’honnête ni d’utile. Pour moi je pense, au contraire, que nous ne devons, ni l’un ni l’autre, abandonner l’espérance de servir encore notre patrie. Quand tout espoir nous sera ravi, alors il nous sera facile de mourir à notre gré. »

Thérycion ne répliqua point à ces observations ; mais, à la première occasion qu’il trouva de quitter Cléomène, il s’écarta le long du rivage, et se perça de son épée.

Cléomène, parti d’Égialée, alla débarquer en Afrique, et arriva à Alexandrie escorté par les officiers du roi. La première fois que Ptolémée le vit, il lui fit un accueil affable, mais sans aucune distinction. Quand ensuite Cléomène eut fait preuve devant lui d’un exquis bon sens, ne se départant jamais, dans ses entretiens avec Ptolémée, de cette simplicité laconienne qu’assaisonne la grâce et la noblesse, soutenant la dignité de sa naissance, sans jamais rien faire qui la pût déshonorer, et sans plier sous les coups de la mauvaise fortune, alors Ptolémée prit en lui plus de confiance qu’en ceux-là mêmes qui ne lui parlaient que pour le flatter et lui complaire. Il éprouva une honte extrême et un vif repentir d’avoir négligé un tel homme, et de l’avoir abandonné à Antigonus, aidant ainsi Antigonus à s’élever à ce haut degré tout à la fois de gloire et de puissance. Il combla donc Cléomène d’honneurs et de caresses : il l’encourageait, il lui promettait de le renvoyer en Grèce avec des vaisseaux et de l’argent, et de le rétablir dans la royauté. Il lui assigna même une pension annuelle de vingt-quatre talents[1]. Mais Cléomène ne prenait sur cette somme, pour lui et pour ses amis, qu’un entretien simple et modeste ; et il

  1. Environ cent quarante quatre-mille francs de notre monnaie.