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citoyens qui étaient accourus à leur secours. On épargna tous ceux qui se tinrent en repos, et on n’empêcha personne de sortir de la ville ; on fit même grâce à Agésilas, qui sortit le lendemain du temple.

Outre ce temple dédié à la Peur, les Lacédémoniens en ont d’autres consacrés à la Mort, au Rire, et à d’autres passions de ce genre. Ils honorent la Peur, non point comme on fait les génies malfaisants pour conjurer leur influence, c’est-à-dire à titre de chose nuisible, mais parce que la peur est, selon eux, le plus puissant lien des sociétés politiques. Aussi, lorsque les éphores entrent en charge, ils font publier, dit Aristote, un ordre aux citoyens de se raser les moustaches, et d’être soumis aux lois, afin qu’ils n’aient pas à user contre eux de rigueur. Ils ne parlent sans doute des moustaches que pour accoutumer les jeunes gens à obéir à leurs chefs, même dans les moindres choses. Et les anciens attachaient, ce me semble, l’idée de valeur, non à l’exemption de toute crainte, mais à la crainte du reproche et de l’infamie. En effet, les hommes qui tremblent le plus devant les lois sont les plus intrépides contre les ennemis ; et ceux-là redoutent le plus la souffrance, qui craignent le moins le blâme. Il a donc raison celui qui dit :

Là où est la crainte, là aussi est le respect de soi[1].

Et Homère :

Tu m’es un objet de respect, ô mon beau-père, ainsi que de terreur[2].

Et encore :

Silencieux et redoutant leurs chefs[3].

  1. On ignore de quel poète est tirée cette citation : on sait seulement que ce proverbe était fort ancien, puisque Platon discute sur ces paroles mêmes, dans l’Euthyphron.
  2. Iliade, iii, 172.
  3. Ibid., iv, 431.