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qui ne visent qu’à la gloire ont bien le nom de magistrats, mais ils ne sont que les serviteurs de la multitude. L’homme d’une vertu éprouvée et parfaite ne désire d’autre gloire que celle qui est le fruit de la confiance publique, et qui lui ouvre la route à de grandes entreprises. Ce n’est qu’à un homme jeune et amoureux de gloire, qu’on peut pardonner de s’enorgueillir quand il a fait le bien, et de s’en applaudir avec complaisance. Les vertus et les qualités qui germent et fleurissent chez les jeunes gens se fortifient, dit Théophraste, par les éloges, et vont toujours croissant à mesure que se développe en eux le sens et le courage.

L’excès, dangereux en tout, est mortel dans les rivalités politiques : il emporte jusqu’à la démence et à la fureur ceux qui, revêtus d’une grande autorité, veulent que la vertu soit attachée à la gloire, et non la gloire à la vertu. Antipater demandait à Phocion une chose injuste. « Je ne saurais, répondit Phocion, être à la fois ton ami et ton flatteur. » C’est là ce qu’il faut dire à la multitude, ou quelque chose d’analogue : « Je ne puis être en même temps votre magistrat et votre esclave. » Autrement, il en serait d’un État comme du serpent de la fable : la queue se révolta contre la tête, et, mécontente de suivre toujours, voulut, à son tour, aller devant. La voilà qui prend la conduite de tout le corps, et marche follement et à l’aventure. Elle s’en trouva très-mal elle-même ; et la tête fut tout écorchée, étant contrainte de suivre, contre l’intention de la nature, des membres sans yeux et sans oreilles. Nous croyons qu’il en est arrivé de même à la plupart de ceux qui gouvernaient au gré du peuple : dès qu’une fois ils s’étaient mis sous la dépendance d’une multitude effrénée, ils ne pouvaient plus ni la ramener à la raison, ni arrêter le désordre.

Ces réflexions sur les dangers de la popularité se sont présentées à moi lorsque j’ai considéré, dans les malheurs