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térêt l’exige ; partout ailleurs c’est la réserve et la modération même. Cicéron, dans ses discours, parle de lui-même avec une intempérance qui décèle un désir immodéré de gloire : c’est lui qui s’écrie que les armes doivent le céder à la toge, et le laurier triomphal à l’éloquence[1] (74). Enfin il ne se borne point à ses actes et à ses exploits : il loue même les discours qu’il a prononcés ou écrits ; semblable à un jeune homme qui veut rivaliser avec les sophistes Isocrate et Anaximène, plutôt qu’à un homme d’État,

Vigoureux, armé pour le combat, terrible aux ennemis[2],


et capable de gouverner et de redresser le peuple romain. Le pouvoir de l’éloquence est nécessaire sans doute à un homme d’État ; mais c’est se ravaler soi-même que d’aimer et de poursuivre avec avidité la gloire qu’elle procure. Aussi, sous ce rapport, Démosthène eut plus de force et d’élévation dans l’âme, lui qui déclarait que son talent, fruit de l’expérience, ne pouvait se passer de l’indulgence des auditeurs, et qui regardait avec raison comme des gens méprisables et de mauvais ton ceux qui tirent vanité de leur éloquence[3].

Ils eurent tous deux une égale capacité pour traiter, devant le peuple, les affaires d’État ; et ceux même qui commandaient dans les camps et dans les armées eurent

  1. C’est la traduction du vers si connu :

    Cedant arma togæ, concedat laurea linguæ.

    Car Plutarque a lu linguæ, comme Quintilien, puisqu’il écrit τῇ γλώττῃ. Cicéron, in Pison., 29, et de Offic., I, 22, a pourtant mis laudi et non pas linguæ.

  2. Plutarque, dans son traité Sur la fortune d’Alexandre, attribue ce vers à Eschyle.
  3. C’est ce qu’il répète plusieurs fois dans les discours de la Couronne et de la Fausse Ambassade.