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chait par raillerie[1] mais le buveur d’eau[2], mais l’homme méditatif, mais cette amertume et cette austérité de mœurs dont on lui faisait un crime. Chez Cicéron, le penchant à railler allait jusqu’à la bouffonnerie : dans ses plaidoyers mêmes il tournait en plaisanterie, pour l’intérêt de sa cause, les choses les plus sérieuses, et négligeait quelquefois les bienséances. Ainsi, dans la défense de Cœlius, il dit qu’il n’est pas étonnant que son client, riche comme il l’est et magnifique dans sa dépense, se livre aux voluptés ; qu’il y a de la folie à ne pas jouir de ce qu’on possède, d’autant que les philosophes les plus célèbres placent le souverain bien dans la volupté[3]. Lorsque Caton accusa Muréna, Cicéron, alors consul, prit sa défense ; et, pour faire pièce à Caton, il fit mille railleries sur la secte du Portique, à propos des absurdités de ces dogmes que les stoïciens nomment paradoxes[4]. Les assistants poussèrent de grands éclats de rire, qui gagnèrent jusqu’aux juges ; et Caton dit en souriant à ceux qui étaient assis auprès de lui : « En vérité, nous avons un consul bien plaisant ! » En effet, Cicéron était d’un caractère plaisant et railleur, et avait un air gai et enjoué. Démosthène, au contraire, avait toujours l’air sérieux et occupé ; il quittait rarement ce visage sombre et sévère : aussi ses ennemis disaient-ils de lui, comme il le rapporte lui-même, que c’était un homme difficile et fâcheux.

On peut voir en outre, par leurs ouvrages, que l’un, quand il se loue, le fait avec retenue, et jamais jusqu’à vous en fatiguer : il ne se le permet que si un grand in-

  1. Voyez plus haut dans la Vie de Démosthène.
  2. Cicéron, comme on l’a vu, était aussi un buveur d’eau.
  3. Il est certain que la morale du pro Cœlio est un peu trop facile et trop indulgente.
  4. Voyez le pro Murena, chap. xxix xxx et xxxi.