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menton, geste qui lui était ordinaire, il fixa sur les meurtriers un regard intrépide. Ses cheveux hérissés et poudreux, son visage pale et défait par une suite de ses chagrins, firent sur les soldats mêmes une telle impression, que la plupart se couvrirent le visage pendant qu’Hérennius l’égorgeait. Il avait mis la tête hors de la litière, et présentait le cou au meurtrier. Il périt âgé de soixante-quatre ans. Hérennius, d’après l’ordre qu’avait donné Antoine, lui coupa la tête, et la main avec laquelle il avait écrit les Philippiques. Car Cicéron avait intitulé Philippiques ses discours contre Antoine ; et c’est le titre que ces discours portent encore aujourd’hui.

Lorsque cette tête et cette main furent apportées à Rome, Antoine tenait les comices pour l’élection des magistrats. « Voilà les proscriptions finies, » dit-il, au récit du meurtre, et à l’aspect de ces sanglantes dépouilles. Il les fit attacher au-dessus des Rostres : spectacle affreux pour les Romains, qui croyaient avoir devant les yeux, non le visage de Cicéron, mais l’image même de l’âme d’Antoine[1]. Cependant, au milieu de tant de cruautés, Antoine fit un acte de justice, en livrant Philologus à Pomponia, femme de Quintus. Pomponia, maîtresse du corps de ce traître, outre plusieurs supplices terribles qu’elle lui fit subir, le força de se couper lui-même peu à peu les chairs, de les faire rôtir et de les manger ensuite. C’est du moins le récit de quelques historiens ; mais Tiron[2], l’affranchi de Cicéron,

  1. Vix attollentes lacrimis oculos homines intueri trucidata membra ejus poterant. Tite Live. Cornélius Sévérus exprima, en vers admirables que nous possédons encore, les sentiments dont tout le monde était pénétré.
  2. Tiron avait écrit la Vie de Cicéron ; le commentateur Asconius cite cet ouvrage. Personne mieux que lui n’était à même de rapporter les faits dans toute leur vérité.