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LUCULLUS.

blessés lui apprirent la déroute de l’armée. Il se mit alors à la recherche de Tigrane, et le trouva seul, abandonné de tous, réduit au plus triste état. Il n’insulta point à son malheur, comme Tigrane l’avait fait au sien ; il descendit de cheval, et pleura avec lui leurs disgrâces communes ; puis il lui donna sa propre garde et les officiers qui l’accompagnaient, et ranima ses espérances pour l’avenir. Tous deux ensemble ils s’occupèrent de réunir de nouvelles armées.

Cependant les Grecs de Tigranocertes s’étaient soulevés contre les Barbares, et voulaient livrer la ville. Lucullus lui fit donner l’assaut, et l’emporta. Il s’y saisit de tous les trésors du roi, et abandonna la ville au pillage. Ses soldats, outre les autres richesses, y trouvèrent huit mille talents d’argent monnayé[1] ; et Lucullus, indépendamment de ces sommes immenses, leur distribua, sur le reste du butin, huit cents drachmes par tête[2]. Informé qu’on avait trouvé dans la ville une foule de comédiens, que Tigrane avait rassemblés de toutes parts pour faire l’inauguration du théâtre qu’il avait construit, Lucullus s’en servit dans les jeux et dans les spectacles qu’il donna pour célébrer sa victoire. Il renvoya les Grecs dans leur patrie, et fournit aux frais de leur voyage. Il fit le même traitement aux Barbares qui n’étaient venus que par force habiter Tigranocertes : ainsi la ruine d’une seule ville en fit repeupler plusieurs, où revinrent les anciens habitants, qui chérirent Lucullus comme un bienfaiteur et comme un fondateur.

Partout les vertus de Lucullus recevaient leur récompense. Les louanges qu’obtiennent la justice et l’humanité le touchaient plus que celles qu’on donne aux exploits militaires ; car toute l’armée partage celles-ci, et la For-

  1. Un peu moins de cinquante millions.
  2. Un peu moins de 800 fr.