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CIMON.

vrai des actions de Lucullus. Il suffit, pour acquitter notre reconnaissance, de conserver le souvenir de ce qu’il a fait ; et lui-même il ne voudrait pas qu’un récit faux et altéré de sa vie fût le salaire d’une véridique déposition. Quand un peintre fait le portrait d’une belle personne, dont la figure, remplie de grâce, a quelques taches légères, nous ne voulons ni qu’il les supprime entièrement, ni qu’il les rende avec trop de fidélité : l’un nuirait à la beauté du portrait, l’autre à la ressemblance ; de même, la difficulté, j’ose même dire l’impossibilité de présenter aux yeux une vie d’homme irrépréhensible et pure, nous fait une loi d’en exprimer complètement les beautés : cette fidélité est comme la ressemblance du portrait. Mais les fautes et les taches dont les passions ou la nécessité politique parsèment les actions des hommes, nous les devons regarder moins comme de véritables vices que comme des imperfections de quelque vertu : au lieu d’en tracer trop scrupuleusement les traits, et trop profondément, dans l’histoire, ménageons avec une sorte de respect la faiblesse de la nature humaine, laquelle ne produit point de caractère vraiment parfait, ni qu’on puisse proposer comme un modèle irréprochable de vertu.

Il m’a paru, après examen, que c’était Lucullus et Cimon que je devais comparer ensemble. Ils ont été l’un et l’autre des hommes de guerre distingués, et se sont illustrés en combattant les Barbares ; tous deux ont gouverné avec douceur, et ont rendu quelque temps de relâche à leur patrie, agitée par les dissensions civiles ; tous deux ont dressé des trophées éclatants, et remporté de glorieuses victoires. Aucun général, avant Cimon parmi les Grecs, et avant Lucullus chez les Romains, n’avait porté si loin ses conquêtes ; à moins qu’on ne fasse entrer en compte Hercule et Bacchus, ou bien encore les exploits de Persée contre les Éthiopiens, les Mèdes et