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ques affaires avaient retenu, et qui était sur le point de s’embarquer. Il ajouta qu’il faisait grand vent, et que la mer était agitée d’une tempête violente. Cette nouvelle fit soupirer Caton, à l’idée du danger que couraient ceux qui étaient en mer ; et il renvoya Butas au port, pour voir si quelques-uns n’y seraient point restés, et venir l’avertir, s’ils avaient besoin de secours. Comme les oiseaux commençaient à chanter, il se rendormit quelques moments. Butas revint, et lui dit que tous les environs du port étaient parfaitement tranquilles. Caton lui com-manda de se retirer, et de fermer la porte de sa chambre, puis il se remit dans son lit, comme pour dormir le reste de la nuit. Mais, dès que Butas fut sorti, il tira son épée, et se l’enfonça dans la poitrine. L’inflammation de la main l’empêcha de porter le coup avec assez de force pour se tuer instantanément ; et, en luttant contre la mort, il tomba du lit, et renversa un tableau à tracer des figures de géométrie, qui était tout auprès. Au bruit que le tableau fit en tombant, les esclaves jetèrent un grand cri, et le fils et les amis de Caton s’élancèrent aussitôt dans la chambre : ils le virent tout souillé de sang ; presque toutes ses entrailles lui sortaient du corps ; il vivait encore, et avait les yeux ouverts. Ce spectacle les pénétra d’une vive douleur. Le médecin arrive, et, ayant reconnu que les entrailles n’étaient pas offensées, il essaie de les remettre, et de coudre la plaie. Mais Caton, revenu de son évanouissement, n’eut pas plutôt commencé à reprendre ses sens, qu’il repoussa le médecin, rouvrit la plaie, se déchira de ses mains les entrailles, et expira.

En moins de temps qu’on en eût cru nécessaire pour que toutes les personnes de la maison fussent instruites du funeste événement, les trois cents étaient déjà devant la porte ; et, un moment après, le peuple d’Utique y fut rassemblé. Tous, d’une commune voix, proclamaient