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périté et en sa puissance ne lui permettait pas de croire que César pût jamais changer.

Caton fut élu préteur pour l’année suivante. Il ajouta à l’éclat et à la dignité de cette magistrature, par la sagesse de son administration ; mais on trouva qu’il l’avait bien davantage encore ravalée et ternie en se rendant nu-pieds et sans robe au tribunal, et en présidant ainsi aux procès criminels de citoyens considérables. On a dit qu’il donnait ses audiences après dîner, lorsqu’il avait bien bu ; mais c’est une fausseté.

Comme le peuple se laissait corrompre par les largesses de ceux qui aspiraient aux charges, et que les citoyens faisaient métier de la vente de leurs suffrages, Caton voulut déraciner de la ville cette funeste maladie : il fit rendre dans le Sénat un décret par lequel ceux qu’on aurait nommés aux charges, et qui ne seraient accusés par personne, étaient tenus de se présenter eux-mêmes devant les juges, et, après avoir fait serment de dire la vérité, d’y rendre compte des moyens qu’ils avaient employés pour être élus. Ce décret le rendit odieux à ceux qui briguaient les magistratures, et plus encore à la foule qui vivait de leurs largesses. Un matin, Caton se rendait au tribunal : il fut assailli par une troupe de ces misérables, qui le poursuivirent avec de grands cris, l’accablant d’injures, et lui jetant des pierres. Tout le monde s’enfuit de l’audience ; et Caton lui-même, poussé, emporté par la foule, parvint à grand’peine à monter sur l’estrade. Là, il se tint debout avec un visage ferme et un air de confiance qui eurent bientôt imposé aux mutins et apaisé le tumulte. Il leur adressa quelques paroles convenables à la circonstance : il fut écouté tranquillement ; et la sédition eut bientôt cessé tout à fait. Les sénateurs ayant loué le courage de Caton : « Pour moi, répondit-il, je ne vous loue point d’avoir laissé un préteur dans le danger sans lui porter secours. »