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mier les parts : quand le sort ne l’avait pas favorisé, ses amis lui déféraient le choix ; mais il s’y refusait, disant qu’il ne convenait pas de rien faire malgré Vénus[1]. Au commencement, il n’aimait pas à tenir table longtemps : il ne buvait qu’un seul coup, après quoi il se levait ; mais, dans la suite, il prit plaisir à boire, et passait souvent à table la nuit entière. Ses amis alléguaient, pour l’excuser, les affaires du gouvernement, qui l’occupaient toute la journée, et qui lui ôtaient le loisir de converser. Il ne lui reste, disaient-ils, que le temps du souper et de la nuit pour s’entretenir avec les philosophes. Un certain Memmius ayant dit dans un cercle que Caton ne faisait qu’ivrogner la nuit entière, Cicéron prenant la parole : « Mais tu n’ajoutes pas, dit-il, qu’il joue aux dés tout le jour. »

En somme, les mœurs d’alors, aux yeux de Caton, étaient si corrompues et avaient besoin d’une si complète réforme, qu’il fallait, selon lui, pour guérir le mal, tenir une route entièrement opposée à celle qu’on suivait. Comme il vit qu’on estimait plus particulièrement la pourpre la plus vive et la plus forte en couleur, il n’en porta que de sombre. Il sortait souvent après son dîner sans souliers et sans tunique, non qu’il cherchât à se distinguer par cette singularité, mais pour s’accoutumer à ne rougir que de ce qui est honteux en soi, sans s’embarrasser de ce qui ne l’est que dans l’opinion des hommes. Il lui était échu, par la mort de Caton, son cousin germain, une succession de cent talents[2] : il la réduisit en argent comptant, qu’il prêtait sans intérêt à ceux de ses amis qui en avaient besoin ; quelquefois même il leur donnait des terres et des esclaves pour les

  1. Allusion au coup de dé le plus favorable, qu’on appelait Vénus : c’était raffle de six.
  2. Environ six cent mille francs de notre monnaie.