Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.
56
LUCULLUS.

les troupes de Mithridate eurent enfin l’avantage. Les Romains, qui, de leurs retranchements, virent fuir leurs camarades, ne purent contenir leur dépit : ils coururent à Lucullus, le suppliant de les mener à l’ennemi, et de donner le signal de la bataille. Lucullus, qui voulait leur apprendre de quel poids est, dans un danger imminent, la présence et la vue d’un général expérimenté, leur ordonna de se tenir tranquilles : il descend lui-même dans la plaine, court au-devant des fuyards, commande aux premiers qu’il a joints de s’arrêter, et de retourner avec lui au combat. Ils obéissent, et tous les autres, à leur exemple, se ralliant autour du général, mettent en fuite les ennemis sans grand effort, et les poursuivent jusque dans leur camp. Lucullus, rentré dans le sien, fit subir aux fuyards une note d’infamie prescrite par la discipline romaine : il leur enjoignit de creuser, en simple tunique et sans ceinture[1], un fossé de douze pieds en présence des autres soldats.

Il y avait dans le camp de Mithridate un prince des Dardariens[2] nommé Olthacus. Les Dardariens sont une peuplade barbare qui habite les environs des Palus-Méotides[3]. Olthacus était un homme hardi et adroit pour les coups de main, d’une prudence consommée dans la conduite des grandes affaires, aimable d’ailleurs dans le commerce de la vie, et bon courtisan. Il régnait entre lui et les autres princes de sa nation une sorte de jalousie et de rivalité sur le premier rang d’honneur ; pour supplanter ses rivaux, il promit un jour à Mithridate de lui rendre un grand service, c’était de tuer Lucullus. Le roi approuva

  1. La ceinture ou le baudrier était le signe caractéristique de l’état militaire ; et l’ôter à un soldat, c’était le dégrader.
  2. D’autres lisent Dandariens.
  3. C’est cette mer située entre l’Europe et l’Asie, et appelée aujourd’hui mer d’Azof, qui communique avec le Pont-Euxin par le détroit qu’on nommait Bosphore cimmérien.