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La bataille contre Porus refroidit l’ardeur des Macédoniens, et leur fit perdre l’envie de pénétrer plus avant dans l’Inde. Ils n’étaient venus à bout qu’à grand’peine de repousser un ennemi qui n’avait combattu qu’avec une armée de vingt mille hommes d’infanterie et de deux mille chevaux : aussi résistèrent-ils de toutes leurs forces à Alexandre, lorsqu’il les voulut obliger à passer le Gange. On les avait informés que la largeur de ce fleuve était de trente-deux stades[1], et sa profondeur de cent orgyies[2] ; que l’autre bord était couvert d’un nombre infini de troupes de pied, de chevaux et d’éléphants ; que les rois des Gandarites et des Prasiens les y attendaient avec quatre-vingt mille chevaux, deux cent mille fantassins et six mille éléphants dressés au combat. Et ce rapport n’était pas exagéré ; car Androcottus, qui régna peu de temps après, fit présent à Séleucus de cinq cents éléphants ; et, à la tête d’une armée de six cent mille hommes, parcourut et dompta l’Inde tout entière. Humilié, irrité de ce refus, Alexandre se tint d’abord renfermé dans sa chambre, couché par terre, protestant qu’il ne savait aucun gré aux Macédoniens de tout ce qu’ils avaient fait jusque-là, s’ils ne passaient le Gange, et qu’il regardait leur retraite prématurée comme un aveu public de leur défaite. Mais ses amis trouvèrent, pour le consoler, des raisons convaincantes ; ses soldats vinrent à sa porte, pour le toucher par leurs cris et leurs gémissements : à la fin, il se laissa fléchir, et se disposa à retourner sur ses pas, inventant mille artifices trompeurs et sophistiques pour donner une opinion exagérée de sa gloire. Il fit faire des armes, des mangeoires à chevaux d’une grandeur extraor-

  1. Plus d’une lieue et demie.
  2. L’orgyie correspondait à peu près à notre double mètre